ENTRETIEN-CAUSERIE avec… Michael VIGIER, régisseur éclairagiste par Xavier FIDELLE-GAY

Publié le par Artefacte revue

 

 Artefacte : Bonjour Michael, comment vous décririez-vous ?


Michael Vigier : Je dirais que j’ai la chance de faire un métier qui comporte une partie technique et une partie créative, un métier où je cumule plusieurs fonctions et qui comporte une part immense de liberté, comme des contraintes fortes.

 

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                                        Une scène et ses comédiens habillés de lumière... 

 

A : Vous cumulez plusieurs fonctions ?

MV : Oui, je suis éclairagiste qui est le côté créatif à partir de texte de théâtre, à partir de mise en scène. Je cumule cette fonction avec celle de régisseur qui consiste à réaliser du point de vue technique la création lumière et/ou sonore. Et parfois je fais aussi la régie générale (avec ou sans la partie lumière) c'est-à-dire que je coordonne  les aspects techniques et logistiques d’un spectacle.

A : Dans la musique on parle de « gratteux » pour les guitaristes ou dans le sport de « footeux »  pour  le  ballon   rond   (Rires)  dans votre métier, quel est le surnom de vos fonctions ?

 

MV : Au théâtre il y a aussi des traditions très marquées et les éclairagistes sont appelés des « lighteux », on surnomme « sondiers » les régisseurs son, quant aux techniciens qui ne prennent pas part à la création du point de vue de la conception, ils sont surnommés les « pousse boutons ».

 

A : Des « pousse boutons » qu’est-ce que c’est ?


MV : Quand j’ai commencé j’étais un « pousse boutons » qui appliquait des consignes sans trop comprendre, surtout par peur de mal faire quand il s’agissait d’envoyer les effets comme on dit dans notre métier. Maintenant c’est assez rare que je sois « pousse bouton » justement parce que je suis polyvalent. Tous ces surnoms font partie d’un folklore propre aux métiers du spectacle comme j’imagine chaque profession.

 

: Vous indiquiez tout à l’heure la créativité pour la partie lumière de votre métier, comment procédez-vous quand on vous passe commande de faire la lumière d’un spectacle ?


MV : La méthode que j’emploie est de lire le texte avant toute chose. Grâce à cela je me fais mes propres images du spectacle. Ensuite je travaille avec le metteur en scène qui est le patron à ce niveau de construction d’un spectacle. Après ma contribution dépend du côté directif  du metteur en scène et s’il est plus ou moins ouvert aux propositions que je pourrais lui faire. C’est en fait une sorte de conversation professionnelle avec le metteur en scène qui a sa vision globale des décors, de l’ambiance et de la musique. Soit il me laisse libre soit je m’appuie sur ses idées. Ma créativité consiste à cumuler nos idées au service du spectacle et en partant toujours du texte.

 

A : Quel lien faites-vous entre la partie créative et technique de la régie lumière ?


MV : Je suis un peu comme un architecte en ce que j’amène des solutions techniques pour réaliser les images que le metteur en scène a en tête. C’est le metteur en scène qui choisit  la proposition technique qui correspond le mieux à son idée et c’est à moi de trouver des solutions créatives pour le satisfaire.

 

A : Dans votre métier, le fait d’avoir les trois casquettes : éclairagiste, régie lumière et générale est une particularité qui vous est propre ou bien une nécessité pour être attractif à l’embauche ?


MV : C’est un peu des deux sachant quand même que plus on a de cordes à son arc plus la probabilité d’avoir des contrats est forte. L’envers de cette polyvalence c’est que l’on est censé faire le travail de deux ou trois personnes ce qui implique une forte charge de travail alors que s’il y avait assez d’argent plusieurs professionnels pourraient travailler.

 

A : Vous nous avez montré l’interaction entre le metteur en scène et vous mais qu’en est-il de la relation entre vous et le lieu où se produit le spectacle ?

 

MV : La compagnie de théâtre et la structure d’accueil sont deux mondes différents qui s’accordent souvent rapidement. C’est là qu’intervient la partie régie générale parce qu’il faut coordonner la partie artistique avec d’une part, la régie de tournée rattachée à la compagnie de théâtre et d’autre part la régie générale du lieu d’accueil, souvent appelée aussi direction technique.

 

A : C’est le côté purement technique de votre métier ?


MV : Oui, mais il faut bien garder en tête qu’il n’y pas de « magie du spectacle » sans une forte technicité. Le mystère du spectacle vivant qui transporte le spectateur est le fruit d’un travail d’équipe avec des professionnels aux compétences pointues.

 

A : Comment articulez-vous ces deux aspects créatif & technique tout au long des phases de création d’un spectacle vivant ?


MV : C’est une progression qui part de la mise en scène, la phase créative qui comporte tous les aspects du théâtre : jeu des comédiens, son, lumière, décors, costumes et parfois vidéo. Puis la seconde phase est la conception de fiches techniques (Cf illustration) qui comportent une dizaine de pages et sont rébarbatives voire incompréhensibles pour ceux qui ne sont pas du métier. C’est du langage technique qui permet aux structures d’accueil de savoir les exigences du spectacle qu’elles accueillent. La dernière phase est la réalisation dans un lieu. Là, une fois le spectacle commencé, le metteur en scène n’est plus aux commandes, ce sont les comédiens et les techniciens qui œuvrent.

 

: Depuis combien de temps êtes-vous dans le spectacle vivant et quelles évolutions avez-vous remarquées ?


MV : Cela fait presque 20 ans que je fais ce métier et c’est la musique, le cirque qui ont bénéficié des plus importantes évolutions techniques.  Le théâtre quant à lui est resté dans un cadre plus conventionnel même si la vidéo par exemple a maintenant toute sa place dans les salles de spectacles où se produisent les compagnies de théâtre.

 

A : Et pour ce qui est des outils de travail ?


MV : Depuis 6 ans je tourne avec mon ordinateur qui remplace le jeu d’orgue servant à gérer la lumière. Le nom même indique le format de ces anciens outils très volumineux…

 

A : Vous pilotez la lumière et le son avec un ordinateur ?!


MV : Oui, on me regarde encore parfois avec étonnement mais c’est de plus en plus répandu et c’est bien plus pratique pour gérer le son, la vidéo et la lumière. C’est là l’évolution principale avec le rendement des lampes et l’apparition des LED mais ces dernières sont encore trop chères pour être répandues.


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Schéma technique d'une scène de théâtre « mise en lumière » pour un spectacle : le plan de feu


A : Donc si je comprends bien, vous êtes plus « lighteux » que « sondiers » et certainement pas « pousse bouton » ?


MV : En effet je ne me considère pas comme un « pousse  bouton »  (Rires).   Ce  que  j’aimerais   faire comprendre c’est que durant un spectacle - et chaque représentation du même spectacle est différente -  il peut arriver un problème auquel les comédiens comme le régisseur son & lumière doivent pouvoir réagir au quart de tour sans que le public ne se rende compte de quoi que ce soit. Aussi faut-il être extrêmement concentré pour trouver la bonne solution qui reste dans le cadre qu’a défini le metteur en scène.  Cette capacité d’improvisation et cette réactivité dans l’instant n’est pas compatible avec le simple fait de jouer à pousser des boutons sur un jeu d’orgue.

 

: Oui, avec votre ordinateur vous êtes bien loin de ces orgues gigantesques qui pourtant marquent encore mon imaginaire, sûrement à cause des studios d’enregistrement de musique j’imagine. Puisque vous abordez le rôle essentiel des comédiens, quels rapports entretenez-vous avec eux ?

 

MV : En général, j’entretiens de bons rapports avec les comédiens ou les danseurs. En fait je les « embête » plus qu’ils ne « m’embêtent » car avec le metteur en scène, nous contribuons à les mettre dans des situations pas naturelles. Demander de se positionner à tel endroit pour que le texte ou la narration chorégraphique soient mieux portés grâce à l’éclairage contraint le comédien ou le danseur. Les comédiens ou les danseurs sont en première ligne, ils sont la partie visible de l’iceberg et nous formons une équipe souvent soudée.

 

A : Justement, n’y a-t-il pas un paradoxe pour un spécialiste de la lumière d’être dans l’ombre ? (Rires) Comment faites-vous avec ça ?


MV : Le vrai paradoxe réside en ce qu’une bonne prestation lumière ne doit pas se voir. Le spectacle est un travail s’équipe où chacun contribue à emporter le spectateur dans un univers propre à chaque auteur. Chaque membre de l’équipe est en charge de porter la « magie du spectacle » ? Si le mystère n’est pas au rendez-vous et que le spectateur a le temps de se distancier de la narration pour observer qui la lumière, qui les décors ou le jeu des acteurs alors là nous avons raté notre soirée. Heureusement cela n’arrive pas souvent.

 

A : En fait vous avez fait votre boulot de manière satisfaisante si votre lumière est invisible mais porte la représentation ?


MV : Oui c’est ça, nous sommes comme des magiciens dont on ne doit pas voir les « trucs » pour que le mystère reste entier, comme les tireurs de ficelles invisibles dans les spectacles de marionnettes.

 

A : Est-ce que l’on peut dire que la régie son & lumière est au théâtre ce que la sauce est à la cuisine : un liant non essentiel mais garantissant le petit plus qui fait le bon plat ?

MV :(silence) Je crois que c’est Peter Brook qui disait qu’il suffit d’un espace et de deux comédiens pour que le théâtre commence. Vous savez mon métier dans le théâtre est un artifice supplémentaire, un liant certes mais ce n’est pas ça qui fait le théâtre. C’est dur de répondre à votre question en fait… (Rires)

 

A : Ok, je vais tenter de me rattraper : quel est l’impact du désengagement des subventions publiques dans le spectacle vivant ?


MV : Il est évident qu’il y a moins de créations car les compagnies de théâtre trouvent moins de financement pour proposer des créations à la vente. Depuis 2010, j’observe pour ma part une baisse forte des dates. Les dates sont dans notre jargon les représentations devant un public.

 

A : Quel est le meilleur souvenir, ou les meilleurs moments que vous avez eus dans votre métier ?


MV : Je n’ai pas d’anecdote précise en tête mais j’ai eu la chance de connaître ce que l’on appelle au théâtre des « moments de grâce » où tout fonctionne durant un spectacle et où le public se régale. Je remarque que c’est souvent quand je m’investis davantage que professionnellement dans un spectacle que cela se produit. Il y a aussi les rencontres humaines lors des tournées qui parfois ont été très riches pour moi.

 

A : Justement, vous ne parlez pas des tournées ; ce sont pourtant un élément essentiel de votre travail, non ?


MV : Oui, pendant une tournée nous sommes par définition sur la route et nous dormons en hôtel. Nous sommes loin de nos repères habituels et dans une configuration professionnelle qui laisse peu de place à l’intimité. En tournée, il vaut mieux bien s’entendre et savoir partager. En fait, j’ai eu beaucoup de bons moments dans les tournées où nous sommes immergés dans le groupe et la rencontre humaine a un niveau très intense.

 

A : À ce propos, êtes-vous confronté au phénomène des « fans » dans votre travail ?


MV : Je suis dans l’ombre, les « j’adore ce que vous faites » concerne surtout ceux qui sont sur scène, ceux qui sont vus et visibles. Néanmoins quand quelqu’un du métier me félicite pour mon travail, j’apprécie tout particulièrement. Faut pas bouder son plaisir dans ce cas. Pour autant, il faut raison garder, nous faisons un métier de spectacle, un métier qui se construit sur du mystère. Ce mystère peut faire tourner la tête à certaines personnes mais il faut rester humble dans notre profession car c’est avant tout un travail d’équipe où aucun membre n’est prédominant quant au résultat. C’est comme dans le rugby (je suis du sud-ouest) où celui qui marque l’essai ne le peux que grâce à une action collective qui le porte.

 

A : Et quel est le pire souvenir ou moment de votre vie professionnelle ?


MV : Avignon car il y a plus de compagnies de théâtre que de festivaliers, parce qu’il fait chaud en cette période de l’année, parce qu’il y a, plus qu’ailleurs, la pression du succès vu la concurrence et que l’on évolue dans un environnement renfermé sur lui-même. J’ai mal vécu cette expérience et pourtant je suis habitué à « manger-dormir-boire » théâtre quand je travaille sur un spectacle.

 

A : Finalement, nous direz-vous ce qui vous plaît dans votre travail de régisseur éclairagiste ?


MV : C’est un métier que l’on fait par choix et que l’on ne peut faire par défaut tant il est marqué par des contraintes fortes comme ne pas pouvoir se projeter dans l’avenir, être totalement dépendant des commandes, devoir attendre sans savoir quand l’activité reprendra, devoir travailler non stop sur plusieurs mois quand l’activité arrive, devoir être en tournée immergé dans le collectif avec la perte d’intimité qui en découle. Nerveusement c’est très éprouvant.

En compensation j’ai les moments de grâce pendant les représentations, la liberté de créer, la possibilité de profiter des moments sans activité pour m’occuper de mes enfants, l’absence de routine, les rencontres humaines, …

 

A : Michael, merci de nous avoir permis de mieux connaître votre environnement professionnel et la passion qui vous tient. Comme nous arrivons au terme de notre entretien-causerie, je vous pose maintenant la traditionnelle question : qu’avez-vous envie de dire à Artefacte ?

 

MV :« Keep the pressure » car on a  besoin des « shakers » à idées qui respectent l’humain et la diversité.

 

 

 

 

Entretien-Causerie réalisé par Xavier Fidelle-Gay par un dimanche de février 2012 alors que des températures polaires venaient tamponner nos habitudes gouailleuses de gens du sud-ouest rugbystique et ensoleillé d’Albi, dans le Tarn.

 

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